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Planète Métisse, to mix or not to mix.

Musée du Quai Branly.

mercredi 26 mars 2008, par Boris Jeanne

Du 18 mars 2008 au 19 juillet 2009, soit une durée exceptionnelle de 18 mois, se tient au Musée du Quai Branly une exposition qui cherche à s’éloigner des discours convenus sur le métissage pour parvenir à expliquer concrètement comment fonctionnent les métissages. Il s’agit notamment de démontrer que c’est au XVIe siècle que tout a commencé…

L’exposition Planète Métisse s’ouvre sur un « trésor métis » où sont entassés dans une vitrine des objets exceptionnels mais coupés de toute contextualisation : le spectateur s’émerveille, mais ne peut pas réfléchir à la façon dont a pu être produite chaque œuvre du fait de cet amoncellement hétéroclite ayant pour seule cohérence le caractère métis de ses éléments. Le commissaire de l’exposition, Serge Gruzinski, a voulu faire réagir le spectateur, provoquer chez lui une demande d’explication que ne proposent pas assez les autres musées lorsqu’ils traitent du métissage. C’est pourquoi il éloigne le spectateur de ce trésor métis pour l’emmener, en passant devant des tableaux de castas montrant les différents types de métissages biologiques répertoriés par les peintres coloniaux du XVIIe siècle, vers un véritable théâtre d’anatomie sur lequel git le célèbre Codex Borbonicus, habituellement exposé au Sénat. Autour de cet objet métis, des vitrines doubles mettent côte à côte des objets a priori purs, comme une statue grecque « classique » et une statue africaine « ethnique » – mais qui décide de cette catégorisation et qu’explique-t-elle de l’œuvre ? En confrontant ainsi des catégories artificielles (Chanel est classique et Gaultier ethnique ?), on peut les déconstruire et passer à la dissection du Borbonicus, qui mélange sur ces 14 mètres de long des techniques de représentation autant indigènes qu’occidentales – ce que d’autres objets disposés autour du « cadavre » permettent de comprendre.

Une fois l’œil davantage habitué à repérer ces métissages des objets, l’exposition cherche à rendre le contexte historique qui les a permis, celui des grandes découvertes, des conquêtes coloniales, sans pour autant se limiter à l’expansion de l’Occident puisque cette partie sur les Arrivées fait la part belle à la mondialisation islamique. Surtout, c’est l’œil de l’autre qui voit : un paravent japonais montre l’arrivée des Portugais dans le port de Nagasaki, un multimédia compare des scènes d’arrivées mexicaine et goanaise, de la vaisselle chinoise et des enluminures mogholes témoignent de la diffusion de motifs occidentaux que les artistes se sont librement réappropriés en dehors de tout contexte de domination… Ces objets quantitativement peu nombreux mais qualitativement exceptionnels nous conduisent à des installations fermées consacrées à un seul objet présenté au milieu des éléments auxquels il a emprunté, comme cette reine Victoria sculptée par un artiste africain qui a servi de modèle pour l’affiche. Entre des statues yoruba et des images sépia déversées par les colons anglais, on se trouve saisi par l’évidence du procédé de métissage. La force didactique de cette muséographie ambitieuse est encore plus manifeste devant la carte de Cuauhtinchan, exposée entre des cartes nahua et des paysages occidentaux, mais surtout face à un véritable petit film d’animation en 3D qui plonge dans la carte pour lui faire prendre épaisseur et rendre compréhensible la façon qu’avaient les mexica de se représenter l’espace, ce qu’Alessandra Russo appelle le réalisme circulaire. Impossible enfin de parler de métissages sans parler de musiques, après les images et les objets : le spectateur, attiré dans une des fameuses « boîtes » en front de Seine par des images du film Orfeu Negro, se retrouve face à un arbre à musique dont chaque branche lumineuse se termine par un haut-parleur lui permettant d’écouter un des innombrables styles musicaux que les métissages ont engendré au Brésil.

La quatrième et dernière partie de l’exposition se tourne vers les métissages actuels (l’Asie) et ceux du futur (les robots), utilisant pour cela le média le plus à même de les faire comprendre au public : le cinéma. Trois jeux d’écran double analysent l’impact de motifs cinématographiques asiatiques dans le cinéma occidental (Sept samouraïs / Sept mercenaires), puis le regard des Asiatiques sur cet Occident (Wong Kar-waï / Ang Lee), enfin la manière dont l’humain peut se métisser avec la machine (Ghost in the shell / Natural City, à défaut d’avoir obtenu les droits de Blade Runner) : à chaque fois les films sont projetés côte à côte et en même temps, et c’est le mixage sonore qui guide l’attention du spectateur dans un jeu subtil où les espaces et les époques se répondent à même la toile.

Il est temps alors, en contemplant des affiches de cinéma horrifique africain et des cartes postales de Frédéric Bruly Bouabré, en lisant des citations de Montaigne et d’un groupe de rock mexicain, de se rendre compte que l’exposition, depuis la mezzanine du MQB, domine toute la collection permanente du musée : cette éducation de l’œil et de l’esprit va pouvoir maintenant être appliquée à d’autres objets, à d’autres phénomènes, car la véritable planète métisse attend le spectateur quand il sortira du musée. À l’issue de cette visite, le XXIe siècle semble fait d’une abondance de métissages : en mettant l’accent sur le XVIe siècle comme laboratoire de développement et d’explication de ces métissages, sans se couper du présent grâce à la musique, ni de l’avenir par le cinéma, l’exposition démontre la spécificité des évolutions culturelles connues par les quatre parties du monde réunies alors pour la première fois dans un espace planétaire continu – et tout seiziémiste s’y reconnaîtra, jusqu’en juillet 2009.

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