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Quand les historiens lisent les littéraires et vice versa
À propos du livre de Marie-Clarté Lagrée, «  C’est moy que je peins  » Figures de soi à l’automne de la Renaissance, préface de Denis Crouzet et postface de Frank Lestringant, Paris, PUPS, 2012.
mardi 10 juillet 2012, par
On ne dira jamais assez la richesse des approches pluri-disciplinaires, qu’on vante beaucoup et qu’on ne pratique que trop peu. Le colloque international organisé récemment par Olivier Guerrier à l’occasion du centenaire de la SIAM m’avait montré la productivité de la rencontre des philosophes et des littéraires autour de Montaigne. Dans le livre de Marie-Clarté Lagrée (MCL), Montaigne permet cette fois une rencontre entre historiens et littéraires [1] (c’est d’ailleurs un professeur d’histoire qui rédige la préface et un professeur de littérature qui conclut ce livre). Et c’est l’un des grands mérites de cet ouvrage que de montrer de quelle façon les analyses littéraires peuvent étayer les hypothèses des historiens et comment, inversement, l’histoire donne un nouvel éclairage aux travaux littéraires en s’éloignant du texte pour embrasser une période chronologique plus vaste.
La Persona à l’Automne de la Renaissance, c’est l’objet d’étude que se donne Marie-Clarté Lagrée. De quelle façon l’homme s’imagine et se représente à cette époque ? Telle est la question qui guide son enquête. Montaigne n’est qu’une figure de proue qui cache une forêt d’auteurs. MCL pose d’emblée qu’il faut comprendre le gnôthi seauton dans le cadre suivant : «  d’une part la connaissance de soi est considérée comme devant permettre un savoir avant tout moral et une prise de conscience de l’infirmité humaine ; d’autre part, elle n’est jamais une fin en soi et doit déboucher sur la connaissance de Dieu  » (p. 35).
L’homme se représente comme corps et âme. Pour l’âme, MCL rappelle que cette représentation de soi est essentiellement un héritage d’Aristote. Le De anima connaît à cette époque des dizaines de traduction. Il est aussi connu à travers ses grands commentateurs comme Avicenne (XIe siècle). Selon celui-ci, les facultés de l’âme connaissent une tripartition entre âme végétative (partagée avec les plantes), âme sensitive (partagée avec les animaux), âme rationnelle. Ce schéma est ensuite repris par Thomas d’Aquin. MCL met en évidence que c’est ce modèle «  arististotélico-thomiste de l’âme  » qui domine la Renaissance.
Première partie : des années 1560-1580
La représentation du corps, quant à elle, répond à un schéma hippocratico-galiénique. Selon Galien, l’homme est fait des quatre éléments – feu, air, eau et terre et parcouru de quatre humeurs, colère, mélancolie, flegme et sang. Hippocrate et Galien sont également à l’origine d’une vision du corps où le microcosme se reflète dans le macrocosme. Mettant à l’épreuve un vaste corpus et reprenant par exemple le traitement de «  l’affaire Martin Guerre  », MCL souligne que ce schéma est largement suivi, même si c’est avec plus d’imprécision, lorsqu’on quitte la littérature médicale.
Si dans les années 1560-1580, les hommes considèrent tous vivre en un temps de douleur, le livre de MCL fait apparaître des divergences selon les confessions. La psychologie («  science de l’âme  », le mot apparaît en France en 1580, sans signifier un changement dans la vision de l’intériorité  » - p. 98) n’apporte pas les mêmes réponses, selon qu’elle est ou non réformée. La conscience (terme qui a un sens strictement moral à l’époque) qui ne se confond pas parfaitement avec la persona est le lieu où l’individu fait l’exercice de son jugement sur les rapports qu’il entretient et doit entretenir avec son prochain et avec Dieu. «  Pour le réformé, l’homme ne peut respecter la Loi et est irrémédiablement pécheur, mais sa conscience ne doit s’inquiéter car Dieu est miséricorde, pour le catholique, il faut respecter les commandements divins et les lois de l’Église, et celle-ci a une fonction d’intermédiaire  » (p. 128). Le chapitre III vérifie de nouveau les précédentes conclusions sur l’exemple de Guillaume Postel.
La persona se constituant aussi dans son rapport à l’altérité, MCL interroge la littérature de voyage dans son quatrième chapitre (Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, de Jean de Léry et Les Singularités de la France Antarctique (1557) d’André Thévet), les textes juridiques, mais également les représentations de l’amour dans un corpus littéraire et philosophique. La conclusion des analyses est ferme (un peu trop peut-être, nous y reviendrons dans notre dernière partie) : «  l’aliena persona est la parfaite duplication de la persona, elle est un alter ego au sens fort du terme  » (p. 218). Selon MCL, cela n’empêche pas des phénomènes d’identification à de grandes figures bibliques, aux saints, aux personnages illustres de l’Antiquité. Si le concile de Trente affirme de nouveau l’importance de l’imitation des saints, le protestantisme sans exclure le thème de la sainteté, comme il le fait au XIXe siècle, se montre prudent. Calvin condamne avec sévérité le culte des saints, sans nier que les saints soient des exemples, mais moins par leurs actions exceptionnelles que par leur conscience forte de leur faiblesse et de leur imperfection. Les analyses des Icones de Théodore de Bèze ou des martyrologes révèlent bien l’ambiguïté d’un «  culte des saints réformés  », où le saint ne doit pas être un modèle en soi, mais un moyen d’accéder à Dieu. Il en va de même pour les personnages historiques ; pour les protestants, les grands hommes sont, plus que des exemples en eux-mêmes, des témoins de la grandeur de Dieu.
Cette partie se termine sur l’angoisse que génère le rapport entre alter et persona dans les années 1560. MCL rappelle les analyses de Denis Crouzet dans Les Guerriers de Dieu – La violence au temps des guerres de religion : la violence serait le résultat d’une peur, où l’autre serait une menace pour l’identité. L’ «  angoisse du double  », au cÅ“ur de l’histoire de Martin Guerre, expliquerait en partie, le désir d’éradiquer l’autre. Pour étayer cette thèse, MCL étudie enfin le Traicté de l’amitié par forme de paradoxe d’Antoine Hotman, dont le rapport à l’Éloge de la Folie déjà remarqué par d’autres aurait pu être davantage souligné. Ce paradoxe – MCL souligne qu’il faut tenir compte du caractère paradoxal de ce texte, sans néanmoins insister sur l’omniprésence de l’ironie – discrédite l’amitié (où l’on risquerait aussi de se perdre, en laissant trop de place à l’autre) au profit de la charité.
Seconde partie : après les années 1580
La seconde partie rend compte de l’état d’esprit après les années 1580. La mort du président de Thou en 1582 causée par une «  grande melancolie  » dit le désespoir d’une génération qui pense qu’une période est close et s’ouvre sur un temps de malheur. Le schéma aristotélicien reste dominant, mais l’état d’esprit change profondément.
La poésie de Sponde ou de Ronsard montrent de quelle façon le thème de la miseria hominis trouve un écho nouveau s’accompagnant d’un imaginaire macabre. MCL ajoute «  la décennie 1580  » voit ainsi le naufrage de l’idéal humaniste  »Â : le «  connaître relève de l’irréalisable  » (p. 267). Le monde se caractérise par une instabilité perpétuelle. Le De animorum natura de Pierre Pichot reprend le schéma aristotélico-thomiste, mais de nombreuses interrogations ironiques minent les connaissances scientifiques. De même la Gigantomachie ou Combat de tous les arts et sciences avec la louange de l’âne de Perrot de la Salle ou la Philosophie des esprits de Raoul du Pont rendent dérisoire l’encyclopédisme en montrant les contradictions des philosophies et des sciences. Ces auteurs finalement ont recours à l’autorité des Écritures, reconnaissant l’impuissance de l’effort de connaissance. Pichot écrit ainsi : «  À propos de l’état des âmes et des corps après le jour du Jugement, on doit croire plutôt ce que dit le Christ  ». Cette crise de la connaissance s’accompagne d’une crise de confiance dans le langage. Une formule de Vigenère transcrit bien, selon MCL, un sentiment général d’opacité : «  toutes les choses de ce monde ne sont qu’un vray chiffre  ».
L’instabilité du monde et l’impossibilité de la connaissance sont au cÅ“ur des Essais. Le livre de MCL rend compte du succès rapide des thèmes montaniens. La première réception de l’auteur des Essais, avec, entre autres, Étienne Pasquier reprend le thème de l’asthénie de la raison, mais elle est sensible aussi à l’importance de l’exercice du jugement que promeuvent les Essais. Les livres de François le Poulchre de la Motte-Messemé montrent ainsi que ce dernier trouve dans cet exercice un remède contre l’angoisse. Malgré cette forte perte de confiance dans la raison, le scepticisme de ces années ne s’accompagne pas d’une persona alternative. MCL met plus généralement en évidence l’influence d’un néo-stoïcisme incarné par exemple par Guillaume du Vair, auteur d’une Philosophie morale des stoïques (publiée peut-être dès 1585). Plusieurs éditions et traductions de Sénèque et Épictète paraissent dans les années 1580-1590 (p. 298). Le primat donné par la philosophie d’Épictète à la raison et à la volonté conduit à ce que MCL appelle une «  spiritualisation de la raison  ». Ce néo-stoïcisme poussé à l’extrême conduit à une persona qui n’est plus qu’âme que les maux n’atteignent pas : le repli de la persona semble montrer, selon MCL, le caractère périmé du modèle dominant. Certains auteurs vont très loin dans la fragilisation de la représentation de soi. MCL distingue deux figures, celles de Béroalde de Verville et Théophile de Viau.
Après avoir montré l’existence d’un imaginaire ligueur au sein du cercle Acarie - imaginaire qui se distingue par une aspiration mystique à l’anéantissement du corps et même de l’âme dans une «  fusion au Tout Autre  » (p. 372) pour échapper aux horreurs du temps – MCL en vient à mettre en évidence comment se reconstruisent les personae catholiques et protestantes jusque dans les années 1630.
Du côté catholique, Charron, par exemple, témoigne d’un effort de ressaisissement de soi. Il s’efforce ainsi de remettre de l’ordre dans l’univers désordonné des Essais, comme le montre très bien le caractère très construit de la Sagesse. MCL revient aussi sur les premières pensées de Descartes : l’entreprise cartésienne correspond, selon elle, à une réaction au scepticisme des années 1580. Il détruit une maison pour en construire une nouvelle sur du roc et non sur la terre mouvante que représente l’irrésolution des années qui précèdent son célèbre Discours sur la méthode. Dans le prolongement des efforts pour retrouver la connaissance et maîtrise de soi, Descartes fait du corps de l’homme une machine. Il «  refuse l’analogie macrocosme-microcosme, rejette la présence, en l’homme d’une âme végétative et sensitive, et reprend les théories de W. Harvey sur la circulation du sang  » (p. 401). Cet effort de maîtrise n’empêche pas l’époque d’être marquée par ce que MCL appelle une forte «  angoisse temporelle  », en témoigne l’étude qu’elle fait du livre de raison d’Élie Esquirol qui écrit à Toulouse entre 1596 et 1632. Les catastrophes naturelles sont perçues comme les signes de la colère divine. MCL évoque encore l’imaginaire macabre de la poésie baroque mise à l’honneur par Jean Rousset. MCL termine son chapitre consacré à la construction catholique en évoquant les deux figures de François de Sales et Jean-Pierre Camus. Selon elle, d’après l’analyse du Traité de l’amour de Dieu, François de Sales reste profondément ambigu, car, même s’il affirme le libre-arbitre de l’homme, il se trouve dans le prolongement du désir d’anéantissement du cercle Acarie, l’homme devant fondre sa volonté dans celle de Dieu. La béance des années 1580 se refermerait seulement avec Camus qui «  semble réaliser une synthèse entre schéma mystique et aristotélicien  » (p. 447), ce qui passe par une forte rationalisation, aristotélisation de ce schéma et une vision plus mécanisée de l’âme.
Pour la persona réformée, MCL met en évidence que les terreurs temporelles et corporelles sont moins fortes, que chez les catholiques. S’appuyant par exemple sur l’étude des Tragiques de Marie-Hélène Prat, MCL montre qu’il n’y a pas d’obsession macabre chez d’Aubigné. L’attitude de non-questionnement de Calvin et la croyance en la prédestination peuvent expliquer cette différence entre persona catholique et persona réformée. Dans ces pages consacrées à la «  restructuration réformée  », MCL se sert de la Meditation du deffunt Monsieur du Moulin sur la grande maladie qu’il eust és années 1625 et 1626 pour retracer, de façon vraiment captivante, comment ce pasteur, après avoir manqué une brillante carrière en Angleterre au service de Jacques Ier, traverse et dépasse une très grave maladie qui l’atteint corps et âme. La mélancolie qui l’accable tient à sa conscience douloureuse d’être pécheur et il se remet de cette crise de désespoir, lorsqu’il reprend confiance voyant dans ses épreuves le signe que Dieu le distingue. MCL voit dans ce sursaut la puissance d’anéantissement de l’angoisse «  inscrite au cÅ“ur de la croyance en la prédestination et de la justification par la foi seule  ». Étudiant ensuite les différentes réécritures du sort tragique de Francesco Piera, réformé, qui se rétracte et se repent jusqu’à en mourir de l’avoir fait, MCL montre l’importance grandissante de la «  conscience  » dans la représentation réformée. Le dernier élément mis en valeur qui caractérise cette représentation réformée est une confiance plus forte en la raison, en la puissance discursive de l’homme. Amyraut, par exemple, tend à resserrer les liens entre raison et foi, affirmant que «  la foi ne peut venir que de la persuasion de la vérité  ».
La lecture du littéraire
À la lecture de ce parcours fouillé de la «  Renaissance finissante  », on reste admiratif du travail qui a permis d’embrasser du regard près de 70 ans. Le corpus est impressionnant tant par son ampleur que par sa diversité : plusieurs fois, cet ouvrage m’a permis de découvrir des textes et la façon plaisante dont il en rend compte donne envie d’aller les lire. Ce livre permet effectivement de donner une vision plus concrète de la persona qui se dessine durant l’«  Automne de la Renaissance  ». Le littéraire s’incline donc devant l’esprit de synthèse de l’historien, mais son démon tatillon ne peut s’empêcher d’avoir quelque regret.
Dans sa conclusion, MCL avec honnêteté et habileté anticipe les remarques que je vais faire : «  Les limites de cette étude sont certaines et il sera possible de regretter une analyse qui brosse une évolution générale et qui comporte le risque de diluer, voire de noyer, les expériences individuelles, avec tout ce qu’elles comportent d’irréductible.  ». On entend bien l’argument, mais clarté et synthèse ne s’accommodent pas bien avec les exigences de l’analyse qu’historiens et littéraires connaissent également.
MCL, dans son effort vraiment louable et nécessaire de clarification, a dà » bien souvent s’en remettre à la littérature critique et on ne peut lui demander de maîtriser la bibliographie des littéraires sur un livre aussi essentiel que les Essais. Néanmoins, le scepticisme de Montaigne a été l’objet d’une attention soutenue ces dernières années. Et l’on aurait aimé voir que ce scepticisme avait son versant positif, qu’il n’empêchait pas des convictions et l’affirmation forte de valeurs. Ces convictions et ces valeurs font partie de l’image qu’il a de lui, de la «  forme maîtresse  » qu’il retrouve finalement dans son ouvrage. Il me semble que ces valeurs sont aussi présentes chez Béroalde de Verville.
Je reviens sur l’exemple souvent utilisé du Moyen de Parvenir, ouvrage qu’en effet on a coutume d’exhiber comme l’ouvrage de la fin d’un temps où le scepticisme de Montaigne est encore exaspéré au point de ruiner les valeurs de tout le siècle qui le précède. C’est en effet la lecture noire que propose Michel Renaud (cité p. 309) de ce dialogue extravagant. Certes, le Moyen de Parvenir prend la liberté de remettre en cause, mais joyeusement plutôt que de façon désespérée, toutes les autorités et tous les savoirs acquis, mais ce n’est pas dit que toutes les valeurs sortent détruites de cette mise à l’épreuve. La fin du livre reste une invitation à poursuivre la quête de la connaissance aussi fragile soit-elle. D’ailleurs, c’est sans doute un an après le Moyen de Parvenir qu’est publié le Palais des curieux (dont une édition moderne vient de paraître), qui s’efforce bien par exemple de rendre plus précise une langue nécessairement imprécise. Sans vouloir reproduire le rapprochement trop hâtivement fait entre les deux médecins que sont Rabelais et Béroalde de Verville (voir toujours p. 309), il y a bien déjà chez Rabelais, dans le Tiers Livre et le Quart Livre par exemple, cette interrogation sur la fragilité du langage et la difficile construction d’un savoir et en même temps l’affirmation de valeurs, l’amitié et la foi rachetant les déboires des enquêtes philosophiques et scientifiques. Les délitements et remises en cause de la fin du siècle sont dans le prolongement de cette démarche.
Prolongement ou délitement, on n’échappe pas aux questions qui taraudent sans doute les historiens comme les littéraires et les philosophes. Rupture ou continuité, formulée ainsi, la question nous ramène à Foucault, référence discrète mais récurrente dans ce livre. Par exemple, page 198, MCL relisant Michel Foucault et Renaud Barbaras, fait un lien entre possibilité pour l’homme de se connaître et possibilité de reconnaître l’altérité. Selon Michel Foucault [2], pas de connaissance de l’homme par lui-même avant le XIXe, donc, pas de connaissance et compréhension de l’altérité selon Barbaras avant le XIXe siècle. Là encore, on aurait aimé que le livre fasse plus que nuancer ces thèses. MCL écrit : «  force est de constater que l’hétéro-discours ne propose aucune réflexion sur l’altérité et qu’il a du mal à la penser  ». Ne reprenant que l’exemple de Montaigne, penseur de la différence dans son ultime chapitre «  De l’expérience  », ne peut-on pas tout simplement penser que c’est précisément parce que Montaigne rencontre l’altérité partout et surtout en lui-même qu’il est en quête d’une identité qui lui échappe, tant qu’il ne la retrouve pas reconstruite dans les Essais ?
Comme le souligne Frank Lestringant, ce livre pose «  le problème du sujet  ». Il interroge également ce qui se joue dans le passage entre Renaissance et Âge classique. Les enjeux sont donc aussi épistémologiques, comme en témoignent par exemple les pages consacrées à Descartes.
MCL choisit d’éviter de poser brutalement ces questions : elle rappelle l’éternel problème de la naissance du sujet en introduction citant les travaux de référence (de Jacob Burckhardt à Alain de Libera) et assume une «  déprise théorique  » en choisissant comme objet la persona et non le sujet.
Mais la postface de Frank Lestringant suffit à le montrer : en lisant ce livre, on n’échappe pas à ces interrogations.
La présence de Foucault tend à mettre en valeur les réponses que lui-même propose. Reviennent donc peut-être parfois des présupposés théoriques dont MCL prétend initialement se défaire. Sur ces problèmes épistémologiques, on aurait pu attendre que d’autres noms soient cités (je pense par exemple à Hans Blumenberg ou à Paolo Rossi). Je termine avec une dernière question : le livre ne cesse de rappeler que la vision aristotélicienne de l’homme constitue une configuration dominante. Cependant, parfois entre les ouvrages scientifiques, où la prédominance de cette configuration ne fait pas de doute et les autres textes strictement «  littéraires  » ou non, il semble y avoir un décrochement . Dans quelle mesure la représentation scientifique de l’homme informe de façon déterminante la représentation de soi ? Cette suprématie d’Aristote n’est-elle pas à nuancer quand on pense au regard non scientifique de l’homme sur lui-même ? Surgit de nouveau un problème épistémologique ; déterminer ce qui relève strictement de la science ne va bien entendu pas non plus de soi à la Renaissance. Le souci légitime de clarté et de synthèse tend à privilégier des convergences dans les représentations, alors que, comme le rappelle Paolo Rossi, historiographie et épistémologie (relativement) récentes ont voulu souligner «  l’existence d’alternatives, de choix entre théories, de façon différentes de ’voir’ le monde, d’approches différentes qui sont présentes et actives dans toute l’histoire de la science : même aux époques apparemment unitaires, apparemment dominées par une étrange science-guide et par une méthode qui s’identifie avec la méthode [3]
Ce questionnement désordonné montre en tout cas tout l’intérêt de l’enquête de MCL qui soulève un grand nombre de problèmes qui auraient peut-être gagné à être explicités, même s’il est difficile de prétendre les résoudre.
[1] Ma perspective de lecture me fait privilégier l’utilisation des analyses fournies par la recherche en littérature, mais MCL s’appuie plus généralement sur les recherches effectuées en sciences humaines. Son livre est aussi influencé par les travaux des anthropologues et des historiens de la philosophie.
[2] Foucault revient aussi sous la plume de Frank Lestringant qui commence ainsi sa postface : «  régie par le système des similitudes, la Renaisance, plus que toute autre a été obsédée par l’unité  » (p. 517).
[3] Paoli Rossi préface ici la première partie d’un livre qui s’intitule «  Les frontières de la science  ». Le livre en question a pour titre La Culture scientifique dans le monde contemporain (Milan, Scientia, 1979, p. 1). Il le formule de façon plus lapidaire dans un autre livre : «  la recherche historique ne révèle jamais, dans le passé, de stades mono-paradigmatiques  » (Aux origines de la science moderne, (Première publication sous le titre La Naissance de la science moderne en Europe en 1999), Paris, Seuil, 2004, p. 17).
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